Extase indienne au cœur de la louche

⏳Temps de lecture: 3 min

Janvier 2024, je suis en volontariat dans un écovillage
(Govardhan) près de Mumbai, en Inde, pour deux semaines.
 

L'un des services qui nous est demandé dans cet écovillage de Govardhan : distribuer la nourriture offerte le midi. 
Un convive dans une queue, une assiette dans sa main, une louche dans le plat : configuration logistique de base pour distribuer 1000 repas. 
C'est une expérience en tant que telle. 

Démarrage

A part de mettre une charlotte sur la tête, aucune autre préparation. J'apprends donc à : 
• ne pas toucher leur assiette 
• sourire en les regardant  
• mettre la quantité moyenne et en ajouter selon certains gestes ou expressions faciales 
• dire le mot de passe "Hare Krishna" qui veut dire autant bonjour, bienvenue, voilà, merci, bon appétit, bonne journée, soyez béni.e... 

Croisière

Ça y est, je rentre dans le service. J'ai le rythme, j'engage les clins d'œil, les sourires, une blague même si possible. C'est cool. Je suis bien là, présent, et je m'efforce à entrer dans la relation à l'autre.

Arrêt 

Panne de riz sur les 3 files. Bon. Les gens s'arrêtent. 5 minutes, l'intrigue se lit sur les visages. Quelques anglophones entament la conversation. 10 minutes, on discute, les files commencent à se compresser. A s'entasser.

Accélération

Le riz arrive. La panique monte. Un convive d'une file s'est levé. Il prend des assiettes pour les distribuer dans les files. Ma louche n'arrive plus à atteindre le riz tellement il y a d'assiettes qui recouvrent la gamelle. Les organisateurs commencent à crier. Je dépote. Plonger. Servir. Le petit mot a disparu. Plonger. Verser. Pas de regard accueillant. Efficacité.

Absence

Le rythme s'est calmé. Je souffle un peu. Un instant. Un organisateur se place de l'autre côté de la queue, face à moi. Et me montre qu'il faut sourire : "smiling service!" J'étais bel et bien parti.

Extase

Je respire, reprends le contact avec mes sens. Avec l'ampoule qui s'est créée sur mon index à force de servir le riz à route allure. Avec le sens de ce service et les personnes à servir. Alors je suis centré. Je sais ce que je fais là. Et dans l'instant, mon geste s'aligne. S'ajuste. La mécanique, la logistique, la supply chain ont disparu. C'est le geste simple qui partage la nourriture. Un geste qui nourrit. Pas que de riz. Voilà que le riz se dépose avec délicatesse et détermination. Un autre "je" prends la main, et comme un chef étoilé, dresse la portion de riz. Un autre "je" regarde chacun avec tendresse et retenue. Quelques personnes passent avec cette qualité de service. Il n'y a même pas de rencontre en tant que telle. C'est simplement une présence vécue et offerte.

Retour

Jusqu'à ce que "je" se réveille, veuille goûter l'instant, rencontrer l'autre ou quoi que ce soit. Alors l'autre "je" se retire. Et c'est l'exercice, le labeur qui reprend. 

"L'oiseau chante et ne sait pas qu'il chante, L'homme chante et il sait qu'il chante, Le saint chante et il sait en lui, que c'est Dieu qui chante." Henri le Saux, Swami Abhishiktanada (1910-1973) 

Précédent
Précédent

« Penser complexe »

Suivant
Suivant

L’interview des auteurs